Paroles de Budoka
CONFERENCE SUR LE BUDO – STAGE INTERNATIONALE FIAMT – MIREPOIX - 2015
BUDO - 武道 et BU JUTSU - 武術
« Dans quel état d’esprit doit être abordé la pratique martiale ? »
Telle est la question sur laquelle nous proposons ce soir une réflexion.
En préalable aux thèmes que je vais présenter, nous désirerions vous communiquer notre point de vue. Selon notre expérience il y a deux manières d’identifier l’intérêt et l’attrait que portent les gens à la pratique martiale.
1 – Celui d’une majorité de personnes qui, influencée par tous les médias confondus comme étant un phénomène de mode, mais qui en fait est une impasse sans avenir et sans lendemain, s’adonnent à la pratique des arts martiaux
Sur ce point il y a un précédent : la décennie 70 Bruce Lee et l’arrivée des projections cinématographiques et animées de 3ème zone, etc. Donc, aborder les A.M comme une activité de loisir au même titre que la pétanque ou la belotte, en touriste est déplacé. Par ailleurs l’aborder de façon un peu plus pointue, c’est à sportive (compétition etc.) avec comme caisse de résonnance, le développement d’un égo démesuré étroitement lié et la notoriété que procure les titres de champions, médailles et autre artifice est sans réelle valeur. Un phénomène qui est né et qui perdure depuis que les « Arts Martiaux » ont pénétrés le monde occidental (par le Judō) au début du 20ème siècle
Ce qui selon notre avis, reste éphémère, donc superficiel (malgré les titres et autres médailles dont les uns et les autres se gargarisent) et ce pour la simple raison que cet aspect de la « pratique martiale » manque de consistance et de profondeur dans le temps et ne correspond nullement à son essence. Nous n'allons pas nous étaler sur le sujet qui sur le fond est inintéressant et stérile.
2 – La deuxième manière, plus authentique parce que plus profonde, est de pénétrer dans la sphère des Arts Martiaux pour son intérêt réel lié en premier lieu à ses aspects culturels et ensuite envisager la pratique et éventuellement la transmission comme un sacerdoce.
Deux arguments difficiles à contredire, puisqu’ils restent étroitement liés à la compréhension des Arts Martiaux Asiatiques par cette voie qui est celle de l’étude de ses origines et par sa culture.
Une voie, qui dans un premier temps, peut être comparée à une autoroute, mais qui au fil du temps, dès que l’on veut accéder au sommet de sa connaissance et de la maîtrise, devient un chemin abrupte, escarpé et ou l’horizon s’éloigne au fur et à mesure que l’on progresse.
D’ailleurs, afin d’étayer mon propos au sujet de la connaissance des arts martiaux par l’étude de la culture asiatique, combien de fois, nous les « Gaijin », n’avons-nous pas entendu lors de nos longs séjours au Japon, les Sensei nippons nous dire :
« C’est par ce que vous êtes Gaijin que vous ne pouvez pas comprendre l’essence des Budō »
Des termes forts et durs envers des adeptes qui se sont investi dans une pratique inconditionnelle et profonde. Des paroles qui, d’un point de vue occidental, pourraient être assimilé à de l’arrogance, mais toutefois compréhensible, parce que sur le fond les Sensei japonais ont raison.
Alors bien sûr, il y a les exceptions qui confirment la règle et il existe des « Gaijin » qui ont véritablement, sans renier leur origines occidentales, assimilés et compris l’esprit martial nippon, voire chinois de par l’étude d’une culture historico-martiale qui, il faut l’admettre est diamétralement opposée à la nôtre.
Nous pouvons en citer quelques-uns, des personnages qui restent des références dans le milieu occidental du Budō et qui pour certains sont considérés dans le berceau des Budō comme étant des légendes vivantes :
Don Draeger (US), Jan Kallenbach (Hollande.), Roland Habersetzer (F- Historien), Pascal Krieger (Suisse), Sensei Schneider et Stoll ici présents, ainsi que quelques autres.
En effet, c’est une évidence, en tant qu’occidental, comprendre les arts martiaux Sino-japonais ne se réduit pas à donner un coup de poing à droite, un coup de pied à gauche, ou une projection par ci et une clé par là, tout en arborant un costume exotique.
Non, la compréhension des Budō va bien au-delà de ces artifices dérisoires, c’est ce que je vais essayer de développer ce soir.
"Budō ou Bu Jutsu ?"
Sortons des clichés dichotomiques et des fables « martiales » nipponnes et essayons d’élever le niveau de la réflexion.
Compartimenter le Bu Jutsu et le Budō c’est déjà dresser un voile de mystification, un voile que nous tenons à lever ici ce soir.
Il est vrai que pour les non-initiés, voire pour une majorité de pratiquants, les termes peuvent porter à confusion.
Toutefois, d’entrée nous abordons là une incompréhension culturelle de base, mais ou aussi le « politiquement correct » joue pleinement son rôle.
Nous allons donc laisser le « politiquement correct » de côté et aborder le sujet comme il doit l’être, c’est-à-dire d’une manière directe.
BU JUTSU - 武術
Est un terme nippon qui se traduit en chinois par Wu Shu et qui signifie clairement : L'étude de techniques de combat dans le but d'éliminer un ou plusieurs adversaires.
Bu Jutsu désigne spécifiquement les applications pratiques de techniques martiales à des situations de combat réel.
Le Bu Jutsu, se manifeste par des techniques guerrières d’affrontement qui, comme moyens, utilise des techniques d’arts martiaux issues de deux catégories :
Art Martiaux « majeurs » et Arts Martiaux « mineurs ».
L’architecture du Bu Jutsu est pragmatique où les concepts philosophiques et humanistes ne rentrent absolument pas en ligne de compte.
Les Arts Martiaux majeurs du japon médiéval (qui s’étale d’une période allant de la fin du IXème siècle au XVIème siècle), sont tous issus des techniques de combat armés utilisés sur les champs de bataille, à savoir dans une chronologie qui est rapport à la distance d’affrontement :
- L’arc (étant la reine des armes - kyu-jutsu)
- La lance, (nagi nata)
- Le sabre long (katana)
- Le sabre court ('waki sashi)
- Le poignard (tanto)
- Les armes de jet (Shaken et Shuriken)
Ainsi que des méthodes nage waza??? (projections) en armure et d’équitation
BUDO - 武道
Le Budō quant à lui, utilise les mêmes techniques issues des deux mêmes catégories, mais n’est plus un moyen il est devenu un outil de formation.
Influencé à la fin du XIXème siècle par les obédiences Taoïstes, Shintoïstes et Bouddhistes il est devenu un outil d’auto formation et d’auto éducation de l’Homme.
Recadrons donc les choses par rapport à leur contexte. Fin du XIX ème siècle, Meiji Jidai (Ere Meiji – Clarté). Les méthodes de combat du moyen âge nippon sont devenues obsolètes.
Les armes modernes (Fusils, canons, etc.) ont remplacé les arcs, les lances, les sabres etc. Les Samurai, en tant que tels, n’existent plus (l’esprit lui reste). La caste Samurai a été démantelée, leurs privilèges (Porter les deux sabres et le chignon) ont été abolis.
Le Budō, c’est la Voie - 道 - Martiale - 武 - dans le sens spirituel et ce dans sa structure philosophique est définie par le concept Taoïste (Tao en chinois Dō en japonais.
Son objectif étant de continuer à utiliser les mêmes méthodes que dans le Bu Jutsu, qui conservent les mêmes propriétés d’auto protection (Goshin Jutsu) en ce qui concerne les Arts martiaux mineurs. Ce serait réductif de penser que les Arts Martiaux en général seraient une réminiscence des arts guerriers. Ils se sont développés à partir du XX ème siècle selon un concept qui vise à l’auto formation et l’auto éducation globale de l’Homme autant du point de vue, technique, physique et intellectuel.
Recadrer les choses comme nous venons de le voir, permettent d’éviter que cela parte tous azimuts qui a fait que les Budō japonais ou chinois ont été pervertis par un occident qui comme souvent « a tout compris » sans réellement rien comprendre du tout, ou aujourd’hui beaucoup « d’Arts Martiaux » sont un non-sens.
Le Budō englobe donc un ensemble de disciplines traditionnelles de combat qui permettent aux hommes de, non seulement se défendre pour tout ce qui est arts martiaux de percussion ou de préhension ou de s’élever spirituellement pour des disciplines armées, mais dont les armes sont aujourd’hui exclues de toute utilisation.
Les Bu Jutsu et les Budō sont techniquement très proches, bien que dans les faits ils ne soient semblables, ils n’ont aucune raison d’être différents.
A contrario, l’esprit lui est différent.
Le Bu Jutsu est en relation directe avec la volonté de vaincre, d’accéder à la victoire en éliminant l’ennemi dans le but de survivre.
Le Budō quant à lui est un Chemin qui va au-delà du concept de victoire ou de défaite, et ce, même si leur pratique offre à l’adepte la possibilité de se sortir d’un affrontement.
Thèmes développés par les Sensei Schneider et Stoll - Mai 2012 - Stage Intenational de Bu-jutsu - Mirepoix (Ariège) France
SENSEI 先生
Le Soke de la Fiamt m’a été confié les rennes du département historico-culturel. C’est dans ce cadre que je désirerais aborder avec vous le terme de Sensei et de sa vraie définition. Il s’avère en effet, que depuis plus de deux décennies ce terme tend à être largement galvaudé, voire trop souvent utilisé à mauvais escient. Soyons clair, malgré ce que certains pensent, un instructeur débutant, voire de niveau moyen, n’est en aucun cas un Sensei au sens noble du terme. C’est une erreur de raisonnement de penser que de jeunes 1er Kyū (級) ou de jeunes Shōdan (初段) à qui dans les Dōjō (道場), on confie la mission d’assister le professeur lors des Keiko (稽古[1]) ou des Gasshuku ( 合宿, peut aussi s’écrire 相宿[2]) seraient des Sensei. Ils sont et reste avant tout des assistants (Joshu - 助手).
Tout adepte du Budō (武道) se doit de savoir que le statut de Sensei est soumis à certaines conditions et critères. Des conditions tout d’abord techniques[3], associés à des critères d’âge, d’expérience, de connaissances et de savoirs variés en matière de Budō. Comme par exemple, la pédagogie, l’histoire et la culture martiale, la sociologie des comportements et des relations humaines. Ce que ne peut évidemment pas maitriser un jeune Yudansha (有段者). C’est une de cette raison que par exemple, dans la société nipponne, les médecins sont aussi dénommés Sensei.
Etymologiquement le terme de Sensei (先生) signifie « celui qui est né avant ». Sémantiquement, il ne faut pas interpréter ce terme comme étant en rapport avec l’âge, mais de le comprendre dans le sens de la connaissance et du savoir. Qualités nécessaires pour diriger pendant de longues années, voire une vie entière un Dōjō.
Sen ou Saki 先, signifie « avant » mais aussi « devant » et peut s’écrire 前 = Mae pour « devant » ou « avant » (Comme pour Mae Geri -前蹴踵-). Le second Kanji[4] 生 est relatif à la naissance, à la vie, à l’existence.
Dans la sphère du Budō le terme de Sensei s’adresse uniquement à des adeptes qui ont généralement largement dépassé la trentaine et qui font preuves des critères sus mentionner. Le Sensei n’est donc pas le copain sur qui on tape sur l’épaule en lui disant « Salut mec, ça va ? ».
En tout état de cause, un Sensei reste un Sensei, même en dehors du Dōjō. Ce qui pour les occidentaux est parfois difficile à comprendre et à accepter. Cette difficulté culturelle provient du fait qu’en Occident, au travers des sacro-saints principes de démocratie, d’égalité et de tolérance, la société, les jeunes en particulier ont été élever à tutoyer trop facilement leur aîné. Notamment dans le système éducatif issu de l’éducation nationale. Mais principalement dans le milieu des activités physiques et sportives, ou le tutoiement des entraineurs de sports ou autres éducateurs est la norme. En effet ces deux catégories sociales sont considérées par les jeunes et les moins jeunes comme étant des copains et non comme des personnes démontrant un chemin sur lequel, un jeune pourra suivre afin de construire une partie de son existence. Néanmoins, les adultes ne sont pas épargnés par ce problème.
L’enseignement d’un Budō qui n’est pas un sport, n’est pas à mettre à égalité avec un sport ordinaire. Les Budō sont des écoles, non seulement de vie, mais aussi d’auto formation ou d’auto éducation. Des écoles qui se sont construites sur des règles et des principes immuables. Le socle étant constitué d’un enseignement, donc d’une transmission par les Sensei des savoirs et des valeurs martiales.
Ne l’oublions pas. !
Alain Stoll Taikiken Kyoshi
Soke Taikiken France
[1] Littéralement Keiko signifie « Transmettre les choses du passé ».
[2] Littéralement Gasshuku signifie « Vivre ensemble », ce que l’on traduit plus couramment, soit par stage ou séminaire.
[3] En tout état de cause, le Sensei assure en combat. Il ne se défile pas en cas de défi. Ce qui est rare de nos jours mais qui reste encore une possibilité. Je l’ai vécu au Japon. On nomme cela : « Briser le Dōjō »
[4] Littéralement Kanji signifie, les caractères chinois usités dans la langue japonaise