Message d'un Hanshi
Sorti d’une formulation de pure convention et d’un optimisme
béat qui n’engage à rien, présenter sincèrement ses vœux pour les
mois à venir devient un exercice de style délicat, qu’il convient de
tenter avec circonspection et prudence.
Et en cette nouvelle fin d’une année qui fut encore si lourde en
évènements dramatiques, plus que jamais...
De quoi demain sera-t-il encore fait, au rythme où vont les
choses ? Et pourra-t-on encore longtemps éluder les bonnes
questions ? Différer les vraies réponses ? Pour, enfin, commencer à
tenter de mettre fin aux agissements de quelques prédateurs dans un
monde qu’ils font tourner à la folie ?
Nos sociétés s’habituent à ce qu’il faut bien appeler un état
de guerre, pleurent, déplorent, commémorent, mais acceptent en
même temps de vivre dans une attitude marquée par un degré de
tétanisation toujours plus élevé (ou, dit en langage aujourd’hui
politiquement plus correct... :
« montent insensiblement leur niveaude tolérance »...)
face à ce et à ceux qui sont les facteurs des
dangers qui les assiègent. En somme, continuent à subir..., tournant
stupidement le dos aux leçons d’une Histoire dont elles ne savent
plus rien. Quand donc seront-elles arrivées au point où elles finiront
par admettre que leurs idéaux du passé méritent qu’on leur retrouve
un sens qui vaut bien toute cette insécurité et ce sang versé
aujourd’hui, ici et là, fruits d’une permissivité et d’un laxisme
déraisonnables et coupables ? Et qu’elles les redécouvrent, les
affirment et les défendent ?
Jusqu’à quand, jusqu’à où, continueront-elles à sacrifier leurs
libertés fondamentales parce qu’on leur vend toujours encore l’idée
qu’elles y gagneront en sécurité (et en qualité de vie) au prix d’une
muette acceptation à sens unique, qui éteint en elles toute volonté de
refus même de l’inacceptable ? Un peu comme si leurs défenses
immunitaires avaient été gommées, lentement, sûrement. Adroitement..
En ai-je assez eu le pressentiment, et l’appréhension, de cette
violence qui a envahi notre quotidien... Et avec laquelle, nous dit-on
maintenant, il va falloir « faire avec » ! « Un monde de plus en
plus fou et incontrôlable », avais-je écrit ici même l’an dernier. Et
« Qu’il serait temps d'accepter de se réarmer mentalement, de
retrouver l'instinct de combat pour garder des chances de survivre »,
avais-je encore ajouté... (1). Surtout ne pas se réfugier dans la
peur, la lâcheté, l’indécision et l’inaction. Mais comment encore
réagir ? A quand, et comment, le coup d’arrêt salutaire ? Il est
déjà bien tard. Il semble qu’il faille désormais vivre avec un état de
choses installé depuis des décades par tant d’irresponsables auxquels
personne ne pense même plus à demander des comptes. Pire : par des
décideurs (et c’est nous-mêmes qui leur ont donné pouvoir de décision)
qui poursuivent toujours ouvertement et pourtant impunément
l’entreprise de sabotage des derniers lambeaux de pistes éducatives
encore présents dans notre civilisation. Ce qui a fini par arriver, ilsl’ont voulu,
et voilà qu’ils y sont arrivés ! Et maintenant ? « Tous
responsables » nous dit-on aujourd’hui... Vraiment ?!
Mais que tous les soucis qu’il est raisonnable d’avoir pour les
horizons à venir ne m’empêchent pas de vous souhaiter, et
d‘espérer pour nous tous, une très bonne année 2017
Certes dans une vigilance permanente et une détermination sans
faille ! Puisque tout peut désormais arriver, n’importe où, n’importe
quand, à n’importe qui.
Au « Centre de Recherche Budo - Institut Tengu », j’enseigne
depuis bien longtemps le sens de la résilience, avec l’indispensable
prise de conscience de la subtile nuance contenue dans le « ne pas se
battre, ne pas subir » de notre Tengu-ryu (2).
Continuons donc, encore, de vivre en espérant le meilleur mais
sans oublier de rester prêts à devoir gérer le pire.
Gardons une vision périphérique, qui porte jusqu’au loin, et
(même, surtout) « après la bataille, resserrons les sangles de notre
casque» (3). En Samouraï lucides jamais loin d’une nouvelle
bataille.
Restons droits dans nos attitudes, fermes dans nos convictions,
prêts à engager s’il le faut avec la capacité de réaction et
l’implacable efficacité des « Tengu ». Restons « armés » et
entraînés dans notre corps comme dans notre esprit. Prêts à
« retourner la peur »...
C’est que nous risquons de ne pas en avoir fini avec ces violences
et ces haines distillées et hélas bien installées dans notre
environnement... Car si le monde n’a certes pas fini de changer, ne
lui laissons pas nous imposer une couleur et un rythme que nous
n’avons pas voulus. A chacun d’entre nous de décider du moment où
engager la bataille, « sa » bataille, depuis sa place et à son
niveau de compétence, est devenu une question de survie qu’il sera
seul à devoir résoudre. Il y a absolue urgence à graver dans nosesprits la perspective
de cette possible prise de décision en toute
responsabilité. A nous démarquer des foules aveugles, candides et
lâches. Hélas déjà bien conditionnées pour l’être et le rester.
En commençant par admettre de devoir modifier nos manières de
penser et de nous comporter dans un monde où le repli tétanisé sur
la peur sera moins que jamais une solution. Bonne année !
Roland Habersetzer
Tengu-no-michi-no-Soke
(décembre 2016)
(1) Je vous renvoie à mes vœux pour 2015 et 2016, qui figurent encore sur ce site, et
les annonces hélas pessimistes qu’elles contenaient...
(2) Relisez mon « billet du Soke » N°11, « Quand retombent les cailloux ».
(3) « Après la bataille, resserrez les sangles de votre casque » fait partie des maximes
samouraï.